En décembre 2012, le Choeur d’Oratorio de Paris interprètera le psaume Dixit Dominus mis en musique par le jeune Haendel. Voilà une bonne occasion d’en apprendre un peu plus sur ce texte surprenant aux accents guerriers, qui a inspiré de nombreux compositeurs!
Les psaumes sont des poèmes destinés à être chantés lors des cérémonies juives qui avaient lieu au Temple de Jérusalem. Beaucoup sont attribués au roi David (qui aurait vécu entre 1000 et 950 av. J.-C.), mais tous ne remontent pas à cette époque.
Le Dixit Dominus – Psalmus David (Psaume de David) a sans doute été composé au 2e siècle av. J.-C. vers 240, au moment où les sept frères Maccabée organisent une grande révolte des Juifs de Palestine contre le roi séleucide Antiochos III (descendant de Séleucos, un des généraux d’Alexandre le Grand ; la dynastie règne de la Syrie jusqu’à l’Iran): les Maccabée veulent restaurer la très ancienne royauté religieuse juive, où le roi était aussi grand-prêtre. Cela explique l’exaltation d’un roi qui serait aussi prêtre, sur le modèle du patriarche Melchisédech, mentionné par la Genèse.
Les chrétiens ont bien plus tard réinterprété ce psaume en y discernant l’annonce du Messie, roi et grand-prêtre, et en l’appliquant bien sûr à Jésus. Ce psaume est le plus cité dans le Nouveau Testament et c’est à cela qu’il doit sa célébrité et son exploitation dans la liturgie : il est le premier psaume récité ou chanté lors des «vêpres», c’est-à-dire de l’office du soir. A ce titre, il a été mis en musique par de nombreux compositeurs, au premier rang desquels Monteverdi et Mozart.
Les vêpres semblent avoir pris une importance particulière dans le contexte de la Contre-Réforme (à partir de 1560) quand l’Église catholique a voulu renforcer les pratiques cultuelles chez tous ses fidèles.
En effet, ce texte concorde bien avec l’esprit de cette Contre-Réforme, qui exalte contre la clarté rationaliste le mystère des textes et des rites sacrés, et, dans son esprit militant, prêche le combat contre les infidèles ou les hérétiques.
Texte latin
Dans la Vulgate (traduction latine de la Bible par Saint Jérôme et ses continuateurs), le texte de ce psaume suit de près le texte grec de la Bible des Septante, c’est-à-dire la traduction de l’hébreu en grec effectuée à Alexandrie par 70 savants vers 250 av. J.-C, à l’intention de la très nombreuse communauté juive d’Égypte qui ne savait plus l’hébreu.
Dixit Dominus Domino meo: Sede a dextris meis, Donec ponam inimicos tuos scabellum pedum tuorum. |
Le Seigneur a dit à mon Seigneur Assieds-toi à ma droite Jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis un escabeau pour tes pieds. |
2. Virgam virtutis tuae emittet Dominus ex Sion. Domina in medio inimicorum tuorum. |
2. Le Seigneur enverra le sceptre de ta puissance depuis Sion. Domine au milieu de tes ennemis. |
3. Tecum principium in die virtutis tuae, In splendoribus sanctorum; Ex utero ante luciferum genui te. |
3. Qu’avec toi soit [= que tu possèdes] le pouvoir le jour de ta puissance, dans les splendeurs des hommes de la vraie foi; De mon ventre dès l’aurore je t’ai engendré. |
4. Juravit Dominus et non paenitebit eum: Tu es sacerdos in aeternum Secundum ordinem Melchisedech. |
4. Le Seigneur l’a juré et ne s’en repentira pas : Tu es prêtre pour l’éternité Selon le modèle de Melchisédech. |
5. Dominus a dextris tuis; Confregit in die irae suae reges. |
5. Le Seigneur est à ta droite ; Il a brisé les rois le jour de sa colère. |
6. Judicabit in nationibus ; Implebit ruinas, Conquassabit capita in terra multorum. |
6. Il jugera les nations ; Il [les] remplira de ruines, Il fracassera les têtes sur la terre de beaucoup. |
7. De torrente in via bibet ; Propterea exaltabit caput. |
7. A l’eau du torrent en [sur le] chemin il boira; A cause de cela il lèvera la tête. |
Notes :
verset 1 : Le Seigneur [=Dieu] a dit à mon Seigneur [= mon seigneur terrestre, le roi]
v. 2 : virga : baguette, bâton, interprétable comme sceptre. Sion : colline dominant Jérusalem, voisine du Temple.
v. 3 : sanctorum : les « saints », c’est-à-dire ceux qui adorent le vrai Dieu, contrairement aux païens.
v. 4 : Melchisedech : roi et grand-prêtre de Jérusalem qui accueille et bénit Abraham revenant victorieux d’une guerre.
v. 7 : Le sujet de «boira» et de «lèvera» semble être le seigneur terrestre et non plus le Seigneur céleste. Les langues anciennes ne craignent pas un tel changement de sujet quand il est suggéré de façon évidente par le sens : Dieu ne peut être le sujet de telles actions.
Texte de Clément Marot
Paraphrase en vers (décasyllabes) de ce psaume par le poète français (de confession réformée) Clément Marot, parue en 1543.
A dit ce mot : A ma dextre te sieds
Tant que j’aurai renversé et fait être
Tes ennemis l’escabeau de tes pieds.
Le sceptre fort de ton puissant empire
Enfin sera loin de Sion transmis
Par l’Éternel, lequel te viendra dire :
Règne au milieu de tous tes ennemis.
De son bon gré ta gent bien disposée
Au jour très saint de ton sacre courra
Et aussi dru qu’au matin chet rosée (chet = tombe)
Naître en tes fils ta jeunesse on verra.
Car l’Éternel sans muer de courage (courage = cœur, disposition)
A de toi seul dit et juré avec: (avec = en même temps, à la fois)
Grand-prêtre et roi tu seras en tout âge
Ensuivant l’ordre au bon Melchisédec,
A ton bras droit Dieu, ton Seigneur et Père, (à ton bras droit = à ta droite)
T’assistera aux belliqueux arrois (belliqueux arrois = entreprises guerrières)
Là où pour toi au jour de sa colère
Rompra la tête à Princes et Rois.
Sur les gentils exercera sa justice (gentils = païens)
Remplira tout de corps morts envahis
Et frappera pour le dernier supplice
Le chef régnant sur beaucoup de pays.
Puis en passant au milieu de la plaine
De grands ruisseaux de sang s’abreuvera.
Par ce moyen ayant victoire pleine,
La tête haut tout joyeux lèvera.
Traduction moderne
Traduction de Eduard Dhorme (bibliothèque de la Pléiade)
«Assieds-toi à ma droite,
jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis
l’escabeau de tes pieds !»
2-Iahvé étendra de Sion le sceptre de ta puissance :
domine au milieu de tes ennemis !
3 – En toi la noblesse, au jour de ta naissance,
doté des honneurs sacrés, au sortir du sein,
à toi, dès l’aurore, la rosée de ta jeunesse !
4 – Iahvé l’a juré et il ne s’en reprentira pas :
«Tu es prêtre à jamais
à la manière de Melchisédech.»
5 – Adonaï est à ta droite,
il brise les rois, au jour de sa colère,
il juge les nations : c’est plein de cadavres,
dont il a brisé la tête sur l’étendue de la terre !
6 – Au torrent il boira sur la route,
c’est pourquoi il lèvera la tête.